ARRETE DE GROGNER

Publié le par YO


ARRETE DE GROGNER

 

 

Je lui avais pourtant dit des dizaines, des centaines, que dis-je, des milliers de fois d’arrêter de grogner !!

Tous les jours, que ce soit au matin, dès son réveil, pour la faire se lever, se laver, s’habiller, pour qu’elle prenne son petit déjeuner, qu’elle vienne se faire coiffer ses si joli cheveux blonds, mi-longs coupés en un jolis carré bouclé.

Elle rallait, elle grognait, disait non ou couinait, me faisait des grimaces, c’est pas toi c’est maman qui met mes bottes… je veux pas aller à l’école, je veux aller chez mamy…

A cinq ans, tout de même, cela devenait inquiétant, agaçant surtout.

J’essayais de l’éviter au maximum tant cela devenait casse-pieds, tant cela se reproduisait inlassablement, des dizaines de fois par jours.


Sara, arrête de râler, ça me prend la tête.


J’avais bien entrepris un travail de déminage, une opposition tantôt en souplesse tantôt tout en discipline en ne lui répondant plus ou au contraire en m’opposant à la moindre de ses demandes, en refusant de lui donner ce qu’elle demandait tant qu’elle n’arrêterait pas de geindre, de tourner en rond en grognant ou en poussant des grincements de dents, les yeux exorbités et ronds de colère et d’attente insatisfaite.

Rrrrrrrrrrr…..

Sous couvert d’un minimum de politesse, je lui demandais de répéter ses phrases avec des « s’il te plait papa » et des « merci », mais, parfois las, j’ai bien failli jeter l’éponge à plusieurs reprises car dans ma conception des choses, et de par ma propre éducation, il fallait, de mon point de vue qu’un ou une enfant s’assume très vite tout seul, dès le plus jeune âge.


Je demandais donc à Sara de faire preuve de retenue, je la poussais à s’habiller toute seule quand au bout de trois menaces, elle continuait à râler et à se démener dans tous les sens pour mettre une opposition au bon déroulement des choses.


J’avais bien essayé de comprendre, d’analyser les causes de son comportement, mais il ne semblait pas y avoir de ligne directrice, de logique sous-jacente dans ses gestes et dans ses mots.

Ce qui me rassurait et m’empêchait de jeter l’éponge c’est qu’elle faisait la même chose avec sa mère, avec son frère, avec ses grands-parents, bref, avec tout le monde, excepté les gens qu’elle ne connaissait pas très bien, encore que, parfois qu’en j’y repense…

Arrête de grogner…


Arrête de grogner…


Arrête de grogner…


Arrête… de… grogner…


Sara, Arrête de grogner !!!


Arrête de grogner !!!!!


Arrête de grogner !!!!!


ARRETE DE GROGNER !!!!!


ARRETE… DE… GROGNER !!!!!...


Un matin du mois de mars, elle se leva avec le nez tout rose.

Ma femme et moi avions pris cela pour un rhume car comme toujours, Sara grognait dés le réveil mais ce grognement là était différent, plus « rouillé », comme une clé qui grince dans la serrure d’une vieille porte.

Le rhume se prolongea, et un soir du mois d’avril, alors que je lui coupais les ongles des pieds et des mains avant de l’envoyer au bain, je lui trouvais les doigts plus courts !!

Bizarre !!


Un matin du mois de juin, je la surpris dans le jardin en train de gratter la pelouse avec ses mains et plonger son nez dans le trou ainsi formé.

Etrange, plus qu’étrange, je lui demandais de rentrer à la maison et l’inspectais sous tous les angles, des poils, une espèce de duvet blond, avaient poussé autour de son nez étrangement carré tandis qu’elle reniflait, qu’elle grognait, mécontente de ne pouvoir continuer à jouer dans le jardin.

De mauvaise grâce, comme à l’accoutumé, je parvins à regarder les traits de sa figure. Celle-ci semblait disproportionnée !

Je pressentais que quelque chose ne tournait pas rond, et c’est en croisant son regard que je m’arrêtais sur ses yeux…

Elle voulait détourner la tête, mais je l’attrapais avant qu’elle n’ait eu le temps de se sauver. Je calais son menton dans le creux de ma main pour éviter qu’elle ne bouge le temps de vérifier mes craintes.

Ma fille, avec ses tous petits yeux ronds, noisette, le front plissé de rides, le visage en avant et les oreilles en petits éventails était en train de muet en un petit porcelet !!


Un petit cochon !!


C’est ce que Sara, ma fille de cinq ans était en train de devenir !!

Il nous a fallu prés de deux longues années à sa maman et à moi pour contrecarrer la transformation.

Le cirque Bouglione qui passait par chez nous cet automne nous proposa d’embaucher notre enfant ! La voir gambader en rentrant de l’école d’une manière si étrange, si curieuse, si animale, en poussant des grognements étouffés, en baissant la tête pour charger ses copains de jeux avait attiré l’attention du dompteur.

Nooooooonnnn !!!

S’était écrié ma femme.


Pas question !!!


Avais-je hurlé. Faisant ainsi fuir le pauvre homme plein de bonne volonté, mais surtout plein d’intérêt !

Dés les premiers signes, le pédiatre, un ami très compétent, nous avait conseillé en dernier recours, face à nos mines déconfites de parents désemparés, de faire un deuxième enfant, au plus vite, pour donner l’exemple à Sara afin qu’elle calque son comportement sur celui de son petit frère ou de sa petite sœur.

Simon naquit quatorze mois plus tard.

Notre couple fut d’abord un peu ébranlé, mais face à l’adversité, il se souda pour faire front au problème comportemental de notre fille.

Deux années s’écoulèrent, deux années fortes d’un travail quotidien pour estomper au maximum les traits porcins de la petite.


A sept ans, grâce aux conseils d’un psychologue, d’un professeur de théâtre, et d’une esthéticienne, Sara ressemblait à une petite fille avec juste un drôle de museau, je veux dire avec juste un drôle de petit nez, pas si petit que cela hélas, bref, avec un drôle de nez carré au milieu de son visage rose.

Nous l’avions échappé belle, car dans quelques pays lointains, très lointains, on nous avait raconté qu’il arrivait que des enfants se transforment complètement en cochons sauvages à force de trop grogner sur leurs parents.

Un soir de juin, quelques années après cette mauvaise passe, il devait être quelque chose comme dix neuf heures trente et je montais pour prévenir Simon qu’il était l’heure de manger.

Il était occupé sur un puzzle de cinq mille pièces.

Quand je suis arrivé dans sa chambre, il était assis au-dessus de sa garde robe, les pieds enroulés autour de l’échelle de son lit superposé, les bras levés en arc de cercle, les mains occupées dans ses cheveux à chercher un hypothétique parasite, il poussait de petits cris aigus.

Je lui ai crié d’arrêter de faire le singe, mais…

il était déjà trop tard !!!



Publié dans NOUVELLES

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